Text of the exhibition Embellissements, Primo Piano, Paris, 2012

Yan Tomaszewski se plait à tisser des liens entre deux domaines a priori sans rapport : l’alpinisme et l’architecture. S’il est question pour l’un de gravir et pour l’autre de bâtir, s’y joue de manière commune la volonté de l’homme d’affirmer son hégémonie sur un territoire. Dans ses vidéos, ses installations et ses performances, Yan Tomaszewski s’approprie l’histoire, la posture et les codes de l’explorateur, de l’alpiniste, de l’architecte, de l’urbaniste ou de l’ouvrier et les fait entrer en résonnance. Ces idéaux-types participent de ce que l’artiste identifie comme un élan ascensionnel, qu’il soit proprement matériel ou physique mais aussi intellectuel, voire spirituel, et qui caractérise à bien des titres la modernité, et plus généralement l’histoire de l’humanité.

L’exposition Embellissements présente un corpus d’œuvres récentes qui réactivent et se jouent des mouvements parisiens de réforme urbaine, des travaux haussmanniens au projet actuel du Grand Paris. « Paris embellie, Paris agrandie, Paris assainie », telle était la promesse faite aux parisiens au milieu du XIXe siècle par le Baron Haussmann, ordonnateur des grands travaux qui pendant plus de vingt ans ont radicalement modifié et rationalisé le visage de la capitale, à force de destructions, d’expropriations et de vastes chantiers, creusant singulièrement la dette publique. En véritable démiurge, le Baron a mené d’une main de fer ce projet volontariste et ambitieux, largement décrié de son temps. La période, propice à l’action, a vu naître une série de projets fantasques et utopistes. Embellissements (Francigenum opus) (2010) formalise l’un d’eux dans une série de vues contemporaines de Paris où chaque élément d’architecture est retravaillé au feutre par l’artiste et se pare de rosaces, de voûtes d’ogives, de flèches, d’arcs-boutants et autres motifs caractéristiques de la période gothique. Rapportée par l’historien Victor Fournel, cette proposition d’un architecte oublié d’harmoniser le paysage parisien à l’aune de Notre-Dame prend au pied de la lettre la formule latine qui désigne le style gothique, francigenum opus, qui signifie littéralement « manière de construire en Ile-de-France ». Entre les mains de Tomaszewski, cette drôle d’uchronie fait des tours de la Défense et des barres de logement social de troublantes cathédrales.

Durant la période haussmannienne, de grands parcs apparaissent au cœur de Paris, là où la nature avait perdu ses droits. Au parc des Buttes-Chaumont ou au parc Montsouris notamment, des montagnes, des grottes et des étangs émergent ex-nihilo, conçus par des rocailleurs, ces faiseurs de nature artificielle, experts en ciment armé tout juste inventé. Didot-Bottin (2011) réunit un ensemble de petites annonces professionnelles de rocailleurs de l’époque, tirées de l’annuaire du commerce du même nom et reproduites en sérigraphie sur de petits drapeaux de couleurs en tissu. Ceux-ci reprennent l’aspect des drapeaux de prières qui sont habituellement imprimés de mantras bouddhistes et déposés par les pèlerins aux sommets et aux passages des cols des monts himalayens. En lisant dans chaque annonce l’énumération des travaux accomplis par chacun, se tisse en filigrane une histoire méconnue de l’élévation des « monts parisiens ».

Der Baron über dem Nebelmeer (2012) force la rencontre entre deux tableaux du XIXe siècle, révélateurs de rapports à la nature diamétralement opposés : le Voyageur regardant au dessus d’une mer de nuages (1817-1818), célèbre représentation méditative et onirique du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich et la représentation officielle peinte par Henri Lehmann du baron Haussmann. Où l’un porte un regard de déférence et de fascination face au sublime et à l’immensité du paysage qui se déploie sous ses yeux, l’autre n’a eu de cesse d’affirmer la puissance du construit. Par le truchement de la copie, cette petite huile sur toile reprend l’œuvre de Friedrich à la différence qu’en lieu et place du voyageur, la figure hiératique du baron nous fait face, tournant ostensiblement le dos au panorama naturel.

Au niveau inférieur, la vidéo Proposition pour un musée sur une île déserte (2009) renvoie à un projet d’urbanisation plus récent, celui de l’Île Seguin, qui fut au cœur d’une polémique largement relayée, suite à l’annulation du projet de fondation du collectionneur François Pinault. Depuis 1992, date de la fermeture du siège des Usines Renault qui y étaient implantées, le lieu, désert jonché de tôles et de béton en ruine, était devenu l’enjeu de propositions d’aménagements urbains de toutes sortes, auxquelles Yan Tomaszewski a ajouté la sienne, celle toute broodthaersienne d’un musée. En explorateur romantique, casque de chantier sur la tête, on voit l’artiste errer dans l’immense terrain post-industriel, gravissant ses reliefs accidentés, avant de tracer au sol un plan inspiré d’une certaine norme muséale, mais d’une dimension dérisoire face à l’étendue du terrain.

Les gestes d’embellissements initiés ou rejoués par l’artiste dans cet ensemble d’œuvres opèrent à l’échelle du réduit, du léger et de l’indiciel, une manière de mettre à distance et de questionner l’impératif de rendre beau un environnement, voulu toujours plus cosmétique.

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